… le marbre, la chaleur, l’eau
… les femmes, les corps, les sons
Je me suis allongée sur la table de marbre presque brûlante. Seule. Respiration profonde difficile mais tellement bonne.
L’eau goutte de quelques robinets et le son étouffé des voix parvient de la salle voisine et, je le crois, le souffle de ma respiration résonne dans la voûte qui me surplombe. L’archtecture des hamams est à tomber par terre.
Atmosphère très étrange, un autre monde… ici quelque chose d’unique se passe, quelque chose de merveilleux.
D’ailleurs je doute de mon écriture…
Alors je vais raconter ici comment cela se passe… un “kese ve köpük” traditionnel. Les femmes qui travaillent sont là, ensemble; elles se connaissent depuis longtemps et autour d’une petite table, elles boivent du thé, déjeunent, dorment… chacune à leur tour, elles font les soins aux femmes qui le désirent car on peut très bien venir au hamam et nous laver nous-mêmes et nous délasser… c’est un lieu rêvé pour sortir du temps…
Kese est la première étape… avec un gant rugueux et de l’eau simplement, elle frotte énergiquement tout le corps, le dos, puis le côté, le devant et l’autre côté. Le corps ressent en profondeur cette agression positive qui va débarrasser la peau d’une multitude de particules… des cellules mortes… des poussières… des traces de cosmétiques et de parfums… de la sueur et du stress !
Toute cette matière s’enroule en longs copeaux qui vont enfin libérer la peau et la laisser s’épanouir et respirer…
Il est temps de partir en “voyage”… on est guidé par les mains de Sakine, Gülender ou Dilara… pour se remplir de plaisir, il faut lâcher prise et ne plus écouter que son corps et le ressenti seconde par seconde de cette sorte de libération. Se trouver entre la réalité… et… elle vient de parler, de demander de s’asseoir sur le marbre et elle arrose le corps de toute part et abondamment, elle nous touche aussi dans le mouvement mais
c’est tellement naturel, elle gicle la table les derniers restes de notre peau filent et la table nous accueille à nouveau pour le massage de mousse…
köpük…
Se trouver entre la réalité… et la fascinante rêverie qui s’annonce… ne plus penser à rien qu’à ce moment partagé avec la chaleur, l’eau, le marbre, le savon. Elle gorge un fin sac de coton d’une eau savonneuse et le gonfle d’air en le balançant de part et d’autre avant d’enfin le laisser créer et répandre une couverture de mousse sur notre corps… exquise sensation de douceur.
Le massage est doux et odorant, les mains ne quittent pas la peau qui suit les mouvements et les intériorise… fabuleuse sensation de fermeté et de
légèreté. Je demande un long köpük… double ou triple… pour me laisser envahir par ce calme intérieur naissant.
Les femmes sont pures et simples, elles chantent parfois ou parlent trop fort entre elles nous oubliant quelques instants ou elles pensent…
Chacune est unique, les mains sont le reflet de l’âme.
Le vécu est chaque fois différent, il dépend de tellement de choses : qui es là, peu de femmes ou plein de femmes, le moment de la journée, de la semaine… il dépend de notre état physique et émotionnel.
Le hamam est magnifique, il est couvert de mosaïques et les vasques de marbres sont surplombées par des robinets en cuivre et des faïences ornementales… les assiettes creuses sont souvent très belles…
… l’eau est partout et la chaleur…
J’ai pris moi-même ou trouvé sur le net les photos de hamams que voilà… elles sont un peu dérobées car le coeur du hamam est hors du médiatique, hors du m’as-tu vu, hors de la dualité des sexes… c’est un lieu protecteur.
Sylvie – février 2019